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Nature Humaine (amocalypse)
Psychologie>Système de pensée

Première version: 2005-08-25
Dernière version: 2016-05-14

Enfermement dans un système de pensée

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Le coût psychologique d'une prise de conscience (JPP)

Je recopie ici une page de Jean-Pierre Petit parue sur son site 2010 (je ne retrouve plus le lien) :

"J'ai toujours dit, depuis des lustres, que toute forme de pensée était un système organisé de croyances. Je crois qu'on ne réfléchit pas assez sur ce mécanisme fondamental qui est l'attitude d'autodéfense de toute pensée, de tout système organisé de croyance. Ce comportement est valable au niveau collectif comme au niveau individuel.

J'ai, chez moi, le DVD du film " La Chute ", consacré aux derniers jours de Hitler et de ses fidèles, dans le bunker de la chancellerie de Berlin. Nous savons que les scènes décrites dans ce film correspondent à des faits réels, qui ont été rapportés par un témoin direct : la propre secrétaire du Fürher, âgée de moins de trente ans au moment des faits, qui témoigne au début du film.

Ce qui se dégage des dialogues c'est que le III° Reich vit là ses dernières heures. Himmler confesse à un proche du Fürher, le propre beau-frère de ce dernier, Figelein, qu'il a déjà amorcé une prise de contact avec les Américains, convaincu que ceux-ci seraient prêts à traiter avec lui et ses SS pour contenir " les hordes asiatiques ". Hitler croît que " le groupe de Steiner " va pouvoir opérer une contre-attaque musclée pour dégager Berlin, aux portes duquel les Russes sont déjà. Apprenant que Steiner est dans l'incapacité de regrouper assez d'hommes pour réaliser cette manoeuvre, il entre dans une rage folle et décrète que " comme Staline " il aurait du faire fusiller tous ses généraux, qui ne sont que des lâches et des incapables.

Il donne à Speer, son architecte et ingénieur en chef l'ordre de détruire toute l'infrastrucure industrielle du Reich, pour que l'ennemi ne trouve devant lui que des ruines. Speer lui répond :

- Mon Fuhrer, si vous faites cela, vous condamnez le peuple allemand à mort.

- Eh bien, si la guerre est perdue, c'est que le peuple allemand s'est montré faible, et les faibles doivent disparaître.

A aucun moment des gens comme lui et Goebbels n'imaginent un seul instant qu'ils ont emmené le peuple allemand à la ruine. Si le plan a foiré, ça ne peut être que de la faute des autres. Le rêve Nazi s'effondre et l'épouse de Goebbels, qui le rejoint dans le bunker, préférera empoisonner de sa propre main ses cinq enfants, pour leur éviter de vivre dans un monde ... sans le national socialisme.

J'ai revu je ne sais combien de fois ce film, analysant chaque phrase des dialogues. Le mot " folie " n'a guère de sens. Certes, sur la fin, Hitler déraisonne, envisage des contre-attaques n'existant que dans son imagination. Mais on est face à un homme qui s'est enfermé dans un système de pensée, qui trouve sa cohérence quand on entend quelques phrases clés :

- Je me suis toujours interdit toute compassion.

Goebbels dira lui aussi :

- Je suis désolé, mais je n'ai aucune compassion.

On est dans la loi du plus fort à 100 %. Lors d'un repas auquel participe sa secrétaire, Hitler évoque la façon dont les primates éliminent immédiatement tous les individus déficients, en qualifiant cela de "loi de la nature ".

L'histoire est à la merci d'hommes et de femmes, constituant des oligarchies. Leur comportement peut nous paraître incompréhensible. C'est parce que nous ne parvenons pas à entrer dans leur système de pensée, à comprendre les mécanismes dans lesquels ils se sont enfermés.

Il y a un second point sur lequel je voudrais insister : c'est l'impossibilité, dans laquelle se retrouvent parfois des êtres humains, de se remettre en question, de pouvoir dire " là, j'ai fait une erreur, un mauvais choix, j'ai fait preuve d'un aveuglement qui s'est avéré très dommageable ". Une telle prise de conscience peut être extrêmement douloureuse et vous hanter pendant le reste de vos jours. Le coût psychologique peut s'avérer exorbitant. Comment un père, une mère, même au seuil de la mort, pourraient-ils dire à leur progéniture : "je suis désolé d'avoir détruit votre vie". Questionnés à propos de leur comportement, les pédophiles y voient simplement "un débordement d'amour parental".

Le monstrueux est plus fréquent qu'un vain peuple ne le pense. Pédophilie, inceste, endommagent ou détruisent complètement des êtres humains. Il arrive que dans une famille des individus découvrent avec effarement des faits remontant à des décennies, qui ont eu des conséquences dramatiques et irréversibles sur ceux qui en ont été les victimes. De telles prises de conscience peuvent se révéler si dommageables pour la vision de ceux qui furent ou sont encore leurs proches ou le sont encore, qu'elles en deviennent impossibles à opérer.

J'évoque là le monstrueux familial, qui peut aller jusqu'au crime, d'adultes ou même d'enfants. Nous n'avons que trop d'exemples à citer de monstrueux historique. Mais ce qu'il faut garder à l'esprit c'est qu'à un moment donné des individus se trouvent pris dans des systèmes de pensée qui guident leurs choix et leurs actes, qu'on pourrait qualifier de pathologiques.

Mais où se situe la frontière entre la normalité et le pathologique ? Dans le mot normalité il y a le substantif norme. La norme c'est ce qui, à un instant donné, est commun à un grand nombre de personnes. Le tendance mimétique est alors très forte. J'emploierai un exemple emprunté à la physique. Comment crée-t-on une aimantation résiduelle (appelée hysteresis) dans un bloc de fer ? On le soumet à un champ magnétique. Les électrons peuvent être comparés à de minuscules aimants, à des dipôles magnétiques. Dans un bloc de fer qui sort d'un creuset, le magnétisme global est nul, les "spins" des électrons, qui correspondent à leur moment magnétique sont orientés de manière aléatoire et leur résultante est nulle.

Plaçons ce morceau de fer dans un solénoïde, créant un champ magnétique. Celui-ci va orienter les spins des électrons. Quand nous amenons ce champ magnétique inducteur à zéro, le morceau de fer conserve une aimantation rémanente. Pourquoi les électrons restent-ils dans ... cette position?

Les électrons du métal sont sensibles au champ créé par leurs voisins, et de ce fait ... y contribuent. La magnétisation du fer est comparable à un phénomène de mimétisme. C'est comme si chaque électron se disait " j'oriente mon spin comme celui de tous les autres ". Alors qu'auparavant il n'y avait aucune structure d'ordre au sein de cette population électronique, on en a créé une, qui perdure d'elle-même, sans avoir besoin d'une sollicitation additionnelle.

Comment supprimer ce magnétisme résiduel du bloc de fer ? Par exemple en le chauffant. On va ainsi créer une agitation thermique au sein du métal qui finira par avoir raison de cet "ordre magnétique" qu'il avait acquis, dans une direction quelconque, du reste.

Il y a donc une première justification des actes individuels, qui consiste à dire " je fais comme les autres, je fais comme tout le monde ". On peut ainsi expliquer pourquoi le phénomène du nazisme a pu saisir une part très importante de la population allemande avant et pendant la seconde guerre mondiale, et pourquoi cette structure s'est ... disloquée d'elle-même dans l'après-guerre après la disparition de ses leaders.

Dans mon site, j'ai écrit "apprenez à penser par vous-même, sinon d'autres le feront pour vous". Je pourrais compléter cette formule en disant "efforcez-vous de prendre du recul, de donner à votre pensée de l'autonomie, sinon celle-ci se fondra dans la pensée collective de l'époque".

Les êtres humains souffrent des exactions et de l'égoïsme, du cynisme d'un grand nombre d'hommes politiques. Mais ces gens qu'ils perçoivent comme égoïstes, cyniques, sans foi ni loi, se décriraient au contraire comme pragmatiques, emprunts d'une " positive attitude", agissant dans le sens de l'intérêt du plus grand nombre. Tous les hommes politiques vous diront qu'il est impossible de gérer un pays sans faire preuve d'un minimum de machiavélisme "dans l'intérêt supérieur de l'Etat".

Suite aux confidences d'une membre de l'administration Bush on sait maintenant que des centaines de personnes raflées en Afghanistan et envoyées à Gantanamo, pour y être torturées avec méthode étaient innocentes de tout crime. Elles avaient simplement été dénoncées comme "terroristes" par des Afghans et des Pakistanais, soucieux de toucher la prime de 3000 euros offert pour chaque capture. Questionnés, des gens comme Bush, Rumsfeld, Colin Powell ou Dick Cheney vous diraient " qu'il vaut mieux enfermer quelques innocents que de laisser de dangereux terroristes en liberté".

Ca ne vous rappelle pas le "tuez-les tous. Dieu reconnaîtra les siens", de la Saint Barthélémy ?

Dans le film La Chute, à aucun moment Hitler n'a le moindre recul vis à vis de ses actes, de sa politique. Si le vaste plan a foiré, c'est parce qu'on n'a pas suivi ses directives et ses ordres. Il en est de même pour pratiquement tous les chefs d'Etat.

Prenez l'exemple du Vatican, dont on sait qu'il constitua une filière d'évasion pour les criminels de guerre nazis, en direction de l'Amérique du Sud. Qu'en pense le pape actuel ( et qu'en ont pensé ses prédécesseurs ) ? "Que ce fut sans doute un mal nécessaire pour éviter que ce continent ne bascule dans le communisme".

Bien rares sont les individus capables, chaque jour, ou à un moment de leur vie, de se regarder dans une glace et de se dire "ai-je démérité?". Les psychologues qui travaillent dans les prisons savent bien qu'un très grand nombre de délinquants se considèrent comme ... des victimes innocentes d'un "système", cette complaisance vis à vis d'eux-mêmes étant souvent proportionnelle à la gravité de leurs fautes.

Si vous pouviez entrer dans la tête d'un homme politique, vous seriez surpris, et même sidéré, de faire connaissance avec la façon dont il perçoit le monde et s'auto évalue. Certains connaissent déjà le détail du patrimoine de notre actuel Président de la République, ainsi que la façon dont il a très confortablement aménagé son avenir matériel. Beaucoup d'hommes politiques se trouvent dispensés de payer des impôts. Il y a longtemps que les Français ont découvert (à l'époque c'était avec l'homme politique Jacques Chaban Delmas) que certains citoyens français, au lieux d'acquiter des impôts, se voient au contraire reverser par le service des impôts un trop perçu, mécanisme lié à une " retenue à la source ".

J'explique, pour ceux qui ignorent ce point. Lorsqu'une société distribue des dividendes à ses actionnaires, elle est censée avoir déjà payé à l'Etat un impôt sur les bénéfices, important. Si ce montant acquitté dépasse ce que le contribuable bénéficiaire de ces dividendes, mais percevant par ailleurs des salaires, est censé devoir au titre de l'impôt sur le revenu, le fisc lui remboursera ... la différence.

Beaucoup d'hommes politiques bénéficient de telles prébendes. Mais allez donc dire à Sarkozy qu'il s'empiffre. Il vous rira au nez. Dans son optique, dans sa vision du monde, ce qu'il perçoit de tous bords lui parait minime par rapport à ce que la société devrait lui verser, eu égard aux services qu'il rend et au travail qu'il fournit. Minime également par rapport aux gratifications dont bénéficient certaines de ses relations, capitaines d'industrie, banquiers ou simples capitalistes.

Revenons sur notre petit maire de tout à l'heure, qui pense militer pour le bien de ses administrés en réclamant l'hébergement de déchets radioactifs sur le territoire de sa commune.

Pour agir ainsi, il est simplement incapable, mentalement, de se projeter dans un futur excédant quelques années.

Les êtres humains font penser à des véhicules. Evidemment, l'image classique du troupeau vient aussitôt à l'esprit. Mais ce qui est intéressant dans le modèle de l'être humain-véhicule, c'est qu'on peut le configurer de diverses manières. Si on imagine que le véhicule chemine de nuit, la distance à laquelle éclairent ses phares est une image de sa capacité de ses projeter dans l'avenir, individuellement et collectivement. L'usage ou le non usage du rétroviseur se référerait à la capacité ou à l'incapacité de tirer des leçons du passé.

Le petit maire qui réclame ses déchets radioactifs possède un système d'éclairage qui dépasse à peine son pare-choc.

Le système d'éclairage conditionne le champ de vision. Celui-ci peut être étroit ou large.

La question à cent euros est " comment des êtres humains peuvent-ils changer de route ?". Inversons la question : qu'est-ce qui leur fait poursuivre un chemin donné ? Des réponses : l'éducation, la culture, leur mimétisme foncier, leur perception du monde, leur intérêt, la façon dont il exploitent la "carte routière " qui leur décrit le monde, dont ils ont appris le tracé dès leur plus jeune âge. Plus généralement, il est plus commode de suivre des chemins déjà battus que de s'aventurer dans l'inconnu, de passer sa vie à suivre un itinéraire bien balisé.

Ici, je voudrais citer une expérience récente. J'ai la faiblesse, depuis plus de 35 ans, de m'intéresser au phénomène ovni, en persistant à dire qu'il recouvre des faits bien réels, qui devraient interpeller nos scientifiques. Or dans l'epistémopshère l'impact est rigoureusement nul et sous cet aspect je constitue l'exception qui confirme la règle.

Il y a une petite dizaine d'années un jeune chercheur, mathématicien de son état et fort savant, avait pris contact avec moi en me disant :

- J'ai fait une thèse de doctorat en mathématiques, et plus précisément en géométrie. J'ai alors cherché à me rapprocher d'un physicien qui fasse des choses intéressantes, et mon enquête m'a mené vers vous.

Fort bien. Nous avons alors essayé de travailler ensemble, pendant plusieurs années. J'ai eu l'impression de vouloir attirer un automobiliste hors de son autoroute d'origine, et de nombreuses fois j'ai été tenté de lui dire " si tu enlevais le frein à main, on avancerait plus facilement ". Je l'entends encore me dire :

- Je ne peux pas m'aventurer sans savoir où je vais !

- Mais comment veux-tu qu'on sache où on va ? Le propre de la recherche consiste à sortir des régions cartographiées, pour en explorer d'autres et, avec de la chance, de revenir avec de nouvelles cartes dévoilant d'autres itinéraires. En la matière, le guide, c'est l'intuition. Si celle-ci s'avère féconde, les arguments logiques ne deviendront apparents qu'après coup.

Je me souviens, au Kenya, dans le parc d'Amboseli, au fil des safaris où je conduisais mes clients, être tombé sur une piste suivie par des éléphants, inscrite de manière si régulière et systématique pendant des siècles qu'il avaient fini par creuser le sol sur leur passage. En matière de recherche c'est assez voisin. Les scientifiques circulent sur des voies toutes tracées qui constituent ce qu'on appelle un paradigme. Ils vont de A à B, puis de B à A , et ainsi de suite. Un comportement boustrophédique ( de bous, le boeuf, et strophedein, le sillon).

Innover consiste justement à s'extraire de ces chemins tous tracés et de tenter d'en découvrir d'autres (le vol supersonique sans ondes de choc ni turbulence, par exemple, ou un modèle de cosmos à constantes variables, y compris la vitesse de la lumière. Etc...). Bref, "tout ce qui n'est pas dans les livres". Un scientifique qui a un profil psychologique de "bon élève" ne fera pas a priori un bon chercheur.

Mon collègue mathématicien impressionnait les vieux routiers de la discipline par l'ampleur et la variété de ses connaissances. En fait c'était un véritable boulimique de mathématiques solidement établies, qu'il classait ensuite dans ses circonvolutions intérieures, avec une précision millimétrique. Je comparerais son cerveau à une déchiqueteuse. Je me rappelle être parti une année avec lui à un stage d'aile volante (pour lui apprendre ce sport et l'inciter ainsi à mieux quitter le plancher des vaches). Nous partagions la même chambre. Tandis que je lisais des bandes dessinées, il avalait, page après page des traités de mathématique des plus ardus, comme on aurait dégusté des petits fours. Il tournait paisiblement des pages, avec une régularité de métronome, sur lesquelles j'aurais peiné des semaines. Dans son cerveau il y avait toujours des giga-octets libres pour y loger de nouvelles connaissances et, entre nous, nous l'avions surnommé " DD ", alias " Disque Dur ".

Hélas, au bout d'années, il s'avéra qu'il était rigoureusement incapable de quitter les sentiers battus. En tentant de l'entraîner dans ces chemins de traverse, je ne faisais que l'angoisser chaque fois un peu plus.

J'ai fini par abandonner.

à suivre...


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